Jonathan Hayoun, Président l’Union des Etudiants Juifs de France. L’UEJF mène depuis de nombreuses années le combat de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet. Du procès Yahoo qui a fait condamner le portail aux Etats-Unis, interdisant la vente d’objets nazis en ligne, à l’affaire « Juif ou pas Juif » sur l’Appstore d’Apple en passant par les propositions du service Google Suggest, jusqu’à la récente recrudescence de contenue racistes et antisémites sur le réseau social Twitter
Internet est devenu le lieu privilégié de banalisation des paroles antisémites. Dans la France de 2013 va-t-on répertorier les juifs sur Internet ? La France doit-elle rester le pays où Google suggère encore l’association du mot juif à vos recherches ? La France dispose d’une des législations les plus complètes en termes de lutte contre l’antisémitisme. Elle n’en fait pas assez usage à l’endroit où elle le devrait.
En France, il est interdit de professer la haine de l’autre dans les espaces publics. Twitter est pourtant un lieu où les garde-fous contre la haine semblent être devenus inexistants, et où ceux qui la distillent se sentent en totale impunité.
Le 10 octobre 2011, plusieurs centaines de messages antisémites ont inondé Twitter, à l’invitation d’une improvisation sur le thème #unbonjuif. «Un bon juif est un juif mort», «Un bon juif est un dur à cuire» – voilà le florilège qui s’est affiché sur les écrans de millions d’utilisateurs, citoyens français. La popularité de l’exercice était telle qu’il a aussitôt été classé comme contenu promu. Les Français ciblés par ces messages de haine ne peuvent avoir pour seul recours de faire appel aux associations de lutte contre le racisme.
Laisser les associations antiracistes mener ce combat seuls, ce n’est que suturer, cautériser imparfaitement la plaie béante et multiforme qu’approfondissent chaque jour les cyberprêcheurs de haine, sous couvert d’anonymat. En prenant cette responsabilité, nous devenons au mieux les éboueurs du Net, au pire ses urgentistes.
C’est à la justice française de faire appliquer les principes républicains qui nous rassemblent, et de restaurer la confiance que nous y plaçons en faisant traduire en justice ceux qui profitent de l’anonymat pour laisser libre cours à leur haine.
La décision de justice du 24 janvier nous a donné raison. Twitter doit respecter le droit français en mettant en place un dispositif facilement accessible permettant à toute personne de signaler des contenus illicites tombant sous le coup de l’incitation à la haine raciale. Ce procès a aussi eu pour objectif de mettre un terme au sentiment d’impunité des utilisateurs de Twitter, qui restent comptables devant le droit français. La justice a astreint le géant du Net à fournir les données d’identification des auteurs de tweets racistes et antisémites. C’est dans un tribunal américain que nous avions à l’époque contraint Yahoo à ne plus vendre d’objets nazis aux internautes français. Jugement surprenant pour une justice réputée avoir une vision très différente de la nôtre en ce qui concerne la liberté d’expression.
Ne nous laissons pas prendre au piège en ayant peur de donner l’image d’Européens réactionnaires, moralistes et réducteurs de libertés. En ces temps de crise, on nous demande de comprendre que ces bruits virtuels ne sont qu’un symptôme acceptable de la libération de la parole. Alors qu’ils ont plutôt le parfum nauséabond des dérives totalitaires qui s’en prennent à des boucs émissaires. Nous devons lutter contre ce bruit assourdissant. Et dans ce combat, nous ne devons nous interdire ni de dire ni de faire interdire.